5 montres mythiques signées Gérald Genta

Gérald Genta, l’architecte du désir horloger
Il y a des designers qui décorent le temps, et d’autres qui l’architecturent. Gérald Genta appartenait sans conteste à la seconde catégorie. Autodidacte insatiable, il a fait basculer la haute horlogerie du carcan précieux vers une modernité d’acier. Légende tenace: la Royal Oak griffonnée à la hâte, la veille d’un salon, sur un coin de table. Réalité plus riche encore: une vision qui fusionne ergonomie, géométrie et culture — du hublot marin à la monnaie antique — pour dessiner des icônes. Cinq montres suffisent à comprendre son langage et l’influence durable qu’il exerce aujourd’hui sur Patek Philippe, Universal Genève et tant d’autres.
Audemars Piguet Royal Oak (1972): la révolution industrielle chic

La rupture
Lorsque la Royal Oak arrive, la haute horlogerie « sport » est un oxymore. Genta impose l’acier, l’octogone, un bracelet intégré aussi souple qu’une chaîne d’or, et une esthétique visiblement vissée. On découvre un luxe qui assume sa mécanique, un dessin tendu, sans concession, dont la fameuse « Tapisserie » concentre la poésie.
Détails à guetter
- Boîte octogonale à vis apparentes, lunette brossée et chanfreins polis.
- Bracelet intégré en dégradé, fluidité presque textile au poignet.
- Cadran « Petite/Moyenne Tapisserie », indice de profondeur et de texture.
- Proportions « Jumbo » originelles: la délicatesse au service de la largeur.
La Royal Oak est le manifeste Genta: elle érige l’outil en joaillerie et impose l’idée du « sport-chic » comme nouvelle noblesse horlogère.
Patek Philippe Nautilus (1976): un hublot légendaire

L’élégance utilitaire
Après la Royal Oak, Genta transpose son alphabet chez Patek Philippe. La Nautilus s’inspire d’un hublot: oreilles latérales, boîtier type « monobloc », cadran à stries horizontales. Le résultat? Une montre de voyageur cosmopolite, assez robuste pour l’océan, assez habillée pour le dîner.
Détails à guetter
- Oreilles latérales, écho des charnières de hublot, signature immédiatement lisible.
- Cadran bleu-gris à lamelles horizontales, jeu de lumière subtil.
- Bracelet intégré plus fuselé, polis-brossés alternés d’une précision horlogère.
- Profil fin et porté plat: la sophistication sans emphase.
Chez Patek Philippe, Genta affine le sport-chic en le débarrassant du spectaculaire. La Nautilus demeure l’incarnation la plus sereine de cette attitude.
IWC Ingenieur SL (1976): modernisme magnétique

La fonction comme style
L’Ingenieur existait déjà chez IWC depuis les années 50; Genta la réinvente. La SL (« acier de luxe ») adopte un boîtier rond à lunette percée de cinq évidements, un bracelet intégré et une carrure tendue. Le tout sert une vocation technique: résistance aux perturbations du quotidien, dans l’esprit d’un instrument professionnel devenu objet de style.
Détails à guetter
- Boîte ronde, cinq évidements de lunette comme ponctuation graphique.
- Bracelet intégré aux maillons géométriques, ergonomie à la Genta.
- Cadran épuré, index sobres, lisibilité immédiate.
- Héritage antimagnetique de la lignée Ingenieur, invisible mais décisif.
Plus technique que démonstrative, l’Ingenieur SL rappelle que le design Genta naît d’une contrainte qu’il sublime en caractère.
Bulgari Bulgari (1977): l’épure romaine

La culture au poignet
Née de la Bulgari Roma de 1975, la Bulgari Bulgari transforme la lunette en manifeste: double logo gravé comme une inscription impériale, boîtier cylindrique sans aspérités, pureté des lignes. Genta invoque la monnaie antique et l’architecture italienne pour signer une montre-bijou conceptuelle, unisex avant l’heure.
Détails à guetter
- Lunette gravée « BVLGARI BVLGARI », esprit sesterce moderne.
- Boîtier cylindrique, volumes nets, minimalisme sensuel.
- Transitions polies/brossées très contrôlées, sensation de bloc sculpté.
- Compatibilité bracelets cuir, métal ou tubogas selon les époques.
La montre prouve que Genta sait parler la langue des maisons joaillières sans renier sa grammaire: proportions exactes, symbolique forte, intemporalité.
Universal Genève Polerouter (1954): l’envol du prodige

Le premier chapitre
À 23 ans, Genta signe pour Universal Genève la Polerouter, conçue pour les lignes polaires de la SAS. Boîte élancée, cornes torsadées, cadran souvent à croix de Malte stylisée: le charme mid-century, avec une vocation utilitaire. Le modèle deviendra un laboratoire de finesse technique, notamment avec l’adoption du micro-rotor qui marquera l’histoire de la marque.
Détails à guetter
- Cornes « twisted lugs » caractéristiques, silhouette immédiatement reconnaissable.
- Cadrans à sectorisation subtile, parfois avec croisée centrale.
- Évolutions de mouvement, dont le légendaire micro-rotor chez Universal Genève.
- Montre de voyage, pensée pour la fiabilité et la précision en conditions réelles.
La Polerouter révèle déjà l’obsession de Genta pour l’équilibre: élégance des courbes, fonctionnalité assumée, identité nette. Elle est la genèse d’un style.
Ce que ces cinq montres nous apprennent du style Genta
Une signature, plusieurs dialectes
De la Royal Oak à la Polerouter, Genta travaille trois axes: la géométrie (octogone, cylindre, cercle), l’intégration (boîte et bracelet fusionnés, volumes continus), la fonction (étanchéité, finesse, robustesse, lisibilité). Son génie tient dans l’évidence: des objets hautement dessinés qui semblent avoir toujours existé. Patek Philippe y trouve une nouvelle civilité sportive, Universal Genève une modernité accessible, Bulgari un manifeste culturel, IWC une rigueur instrumentale, Audemars Piguet un mythe industriel.
Qu’on les découvre vintage ou rééditées, ces pièces restent d’une contemporanéité désarmante. Leur secret? Une forme au service d’un usage, des proportions qui flattent la main comme l’œil, et cette capacité, rare, de raconter une époque tout en la dépassant. Genta ne dessinait pas des montres; il dessinait des attitudes. C’est pourquoi ses créations, au-delà des modes, continuent de nous donner l’heure avec style.