Qu’est-ce qu’une montre “super compressor” ?

Une idée simple, un geste de génie
Dans l’histoire des montres de plongée, le terme “super compressor” n’est pas une coquetterie marketing. C’est un brevet né chez Ervin Piquerez S.A. (EPSA), spécialiste suisse des boîtiers, à la fin des années 1950. Son principe, délicieusement ingénieux, tient en une phrase : plus la pression augmente, plus la montre se comprime sur son joint, et plus elle devient étanche. Là où les plongeuses traditionnelles misent sur un fond vissé qui force l’étanchéité dès la surface, le boîtier super compressor utilise un fond monté sur ressorts qui se plaque sur le joint au fur et à mesure de la descente. L’eau, paradoxalement, devient alliée.
Cette architecture a ouvert une ère où l’on pouvait concilier finesse relative, élégance urbaine et performances sous-marines. C’était la signature EPSA : une science du boîtier, des ressorts calibrés, des tolérances fines, et ce fameux marquage au casque de plongeur à l’intérieur du fond, devenu fétiche des collectionneurs.

Le vocabulaire d’une super compressor
Si le terme désigne d’abord une construction, il a aussi façonné un style immédiatement reconnaissable.

- Deux couronnes à 2 h et 4 h, souvent à guillochage “damier” (cross-hatch), la patte d’EPSA.
- Une lunette tournante interne, commandée par la couronne supérieure, à l’abri des chocs et du sel.
- Un fond à ressorts qui se comprime avec la pression, optimisant l’étanchéité en profondeur.
- Des boîtiers mesurés (36 à 42 mm à l’époque), des cadrans au graphisme net, parfois coquillés de lume vanille aujourd’hui patiné.
Attention aux idées reçues : toutes les montres à lunette interne ne sont pas des super compressors, et certaines “compressor” EPSA n’étaient pas des plongeuses. Mais l’archétype qui est resté dans l’imaginaire collectif, c’est bien la dual-crown de plongée au fond compressible.

Super compressor vs. plongeuse classique : deux écoles
Face à la “tool watch” à lunette externe crantée et couronne vissée, la super compressor propose une autre philosophie. La manipulation de la lunette via la couronne rend l’ensemble plus fluide, plus protégé. L’absence de pièce proéminente évite les accrocs. Et sur la peau, ces boîtiers ont souvent une douceur de galbe, une présence plus discrète. C’est la plongeuse qui sait se glisser sous un poignet de chemise, sans renier ses racines marines.
Les modèles cultes qui ont écrit la légende
Dans les années 1960, de nombreuses maisons ont fait appel à EPSA. Quelques jalons suffisent à comprendre l’aura du genre.

- Longines 7042/7150, ancêtre de la Legend Diver : silhouette épurée, lunette interne au grain fin, typographie nette. Une icône née pour durer.
- Jaeger-LeCoultre Polaris (1963–1968) : l’alliage rare d’un boîtier super compressor et d’une alarme de plongée. Ingénierie poétique.
- Enicar Sherpa Super-Dive / Sherpa Ultradive : esprit d’expédition, lisibilité exemplaire, robustesse helvète et exotisme des cadrans “Sherpa”.
- Universal Genève Polerouter Sub (premières séries) : élégance dessinée, âme d’exploratrice, ce mélange de finesse et de fonctionnalité qui séduit encore.
- Wittnauer, Benrus, Bulova, Hamilton : un écosystème de références au parfum d’époque, très recherchées pour leurs variantes de cadrans et de couronnes.
Ces montres partagent un ADN commun, mais chacune raconte une nuance : l’aventure, la ville, la technique, la modernité des sixties. Elles sont devenues les totems d’une plongée plus romantique que “toolisée”.

La renaissance contemporaine
La vague néo-vintage a relancé le mythe. Longines a remis la Legend Diver à la surface avec tact, en respectant les proportions et l’esprit graphique. Jaeger-LeCoultre a rebâti une famille Polaris qui rejoue les codes avec savoir-faire. D’autres, de Christopher Ward à des micro-marques exigeantes, ont redonné sens à la fonction même de compression, parfois visible via un anneau coloré à l’intérieur du boîtier pour matérialiser la pression. Et puis il y a ces “compressor-style” assumées : l’esthétique dual-crown et la lunette interne sans le mécanisme EPSA d’origine, mais avec un confort d’usage contemporain. Le style, lui, reste intact : sportif, affûté, intemporel.
Comment reconnaître une vraie super compressor vintage
- Le fond porte généralement, à l’intérieur, le fameux casque de plongeur EPSA et des références de boîtier.
- Les deux couronnes sont souvent à motif croisillonné. Si elles ont été remplacées, le damier peut manquer.
- La lunette interne se manipule par la couronne haute, avec un crantage précis et régulier.
- Le boîtier n’est pas nécessairement épais : l’étanchéité vient de la compression, pas de la masse.
- L’ensemble respire la cohérence d’époque : typographies, aiguilles, patines au tritium, cohérence des pièces.
Comme toujours en vintage, le diable est dans les détails. Un cadran trop neuf, une lunette “service” mal typographiée, des couronnes anachroniques : autant de signaux qui demandent de ralentir et de documenter.
Pourquoi elle fascine encore
Parce qu’elle raconte une autre manière d’aller sous l’eau. Le geste est différent : on règle sa lunette du bout des doigts, sans cliquer un insert externe. Le son est feutré, le toucher millimétré. Et surtout, la montre vit avec son milieu : l’eau qui presse devient une force protectrice. Cette poésie mécanique, alliée à un design à double couronne parfaitement équilibré, explique l’attachement presque affectif que suscitent les super compressors. Sur cuir vieilli, caoutchouc tropic ou mesh poli, elles possèdent cette élégance athlétique qui traverse les époques.
Conseils d’achat et d’entretien
- Étanchéité : sur une vintage, considérez l’eau comme un ennemi. Faites tester au banc, changez joints et tubes de couronne si nécessaire, mais restez prudents.
- Originalité : privilégiez les cadrans, aiguilles et lunettes d’origine. Les couronnes damier sont un plus, mais peuvent avoir été remplacées au fil des services.
- Documentation : recoupez les références de boîtier, les marquages EPSA et les archives de la marque quand elles existent.
- Révision : confiez la montre à un horloger familier des boîtiers à compression. Le réglage des ressorts et l’état du fond sont clés.
Pour les amateurs de montres au récit fort, la super compressor est un sésame. Elle condense l’esprit d’innovation des Trente Glorieuses et un chic graphique qui parle à notre époque. Une montre de plongée qui n’a pas besoin d’élever la voix pour se faire remarquer : c’est peut-être ça, le vrai luxe.





